Réchauffement : une base militaire datant de la guerre froide resurgit au Groenland

Loïc ChauveauPublié le 10-08-2016 à 11h30Mis à jour à 11h40

Enterré sous plusieurs mètres de glace du Groenland, Camp Century ne devait plus jamais faire parler de lui. C’était sans compter sur le réchauffement climatique qui devrait faire émerger des milliers de tonnes de déchets toxiques.

Etendue glacée au Groenland. ©NASA/NEWSCOM/SIPAEtendue glacée au Groenland. ©NASA/NEWSCOM/SIPA
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BASE MILITAIRECe sont les heures les plus sombres de la guerre froide que vient rappeler cet été la dernière parution de Geophysical Research Letters. Une équipe américano-canadienne des universités de Toronto et Boulder (Colorado) prévient que du fuel, des déchets radioactifs, des eaux polluées et des Polychlorobiphényles (PCB) se trouvent sur un ancien site militaire du nord-ouest du Groenland. Avec la fonte en cours de la calotte glaciaire sous l’effet du réchauffement climatique, ces produits toxiques devraient retourner dans l’océan Atlantique au cours de ce siècle.

Camp century au Groenland

Deux photos d'archives de 1959, date de création, à 1964, fin des travaux de Camp Century. A gauche, la vitesse de fonte dans la région de Thulé. © Colgan.

4 km de tunnel pour stocker des ogives nucléaires

La construction de Camp Century découle de l’accord signé en 1951 entre le Danemark et les Etats-Unis qui autorisent les Américains à construire trois bases militaires au Groenland. La position de l’île glacée est stratégique puisqu’elle permet aux avions américains de se rapprocher du territoire soviétique. Outre l’établissement de la base aérienne de Thulé dès 1952, les ingénieurs de l’armée américaine décide de la création en 1959 d’une base enfouie dans le névé, à 200 kilomètres de Thulé, à l’intérieur de l’île. L’endroit est choisi parce qu’il est perpétuellement sec. On n’y constate jamais de fonte de glace. Le but officiel des américains est de conduire des études sur les techniques de construction dans l’Arctique. Plus secrètement, l’idée du programme Ice worm (ver de glace) est de creuser un tunnel de quatre kilomètres capable de stocker 600 ogives nucléaires très près du territoire soviétique. Il s’agit aussi de tester la faisabilité d’une rampe de lancement dans des conditions de froid extrême. Ainsi, jusqu’à 200 soldats vont creuser des galeries à huit mètres de profondeur, alimentés en énergie par un réacteur nucléaire. Incidemment, ces travaux vont permettre aux scientifiques de récupérer des carottes de glace qui nourrissent encore aujourd’hui les bases de données des climatologues.

Les chutes de neige ne compensent plus la fonte des glaces

En 1964, le projet Ice worm est abandonné et en 1967, la base est officiellement fermée. Si le réacteur nucléaire est retiré du site, l’armée américaine n’a aucun état d’âme à abandonner les autres déchets. L’inlandsis qui croît en épaisseur tous les ans du fait de chutes de neige qui ne fondent jamais, constitue un linceul parfait, pensent les militaires. Or William Colgan de l’université de Toronto, a eu l’idée d’aller vérifier si la couverture tenait bien. C’est que la calotte glaciaire du Groenland fond de plus en plus vite. Entre 1900 et 1983, le Groenland a perdu autour de 75 milliards de tonnes de glace par an (sur un volume global de 2 millions de km3 de glace tout de même, soit 10% de l’eau douce de toute la planète). Le phénomène s’est accéléré puisqu’entre 2007 et 2011, la perte a atteint 262 milliards de tonnes par an. Il n’est surtout pas dû essentiellement à la formation d’icebergs, mais à une augmentation de la fonte de la glace sur toute la surface de l’île. Il n’y a donc plus d’endroits «secs » et les chercheurs ont ainsi établi que le site de Camp Century avait perdu 14 milliards de tonnes de glace entre 2007 et 2013.

Les vestiges du camp sont sous 36 mètres de glace

Le linceul a bien tenu un moment. Les vestiges du camp sont aujourd’hui sous 36 mètres de glace. Mais désormais, la hausse des températures va soulever le voile recouvrant des choses peu ragoutantes. Les chercheurs ont évalué que les 55 hectares du site contenaient encore 200.000 litres de fuel autrefois contenus dans des citernes qui sont aujourd’hui détruites par la rouille et les mouvements de la glace. La présence de générateurs et autres transformateurs font penser que les PCB sont les produits chimiques les plus répandus et les plus problématiques. Il resterait 240.000 litres d’eaux usées. Des traces de radioactivité seraient également présentes du fait que l’enceinte de confinement du réacteur nucléaire est restée sur place. Tous ces polluants pourraient être libérés dès 2090 selon le scénario de réchauffement climatique le plus pessimiste.

Qui doit nettoyer ? Abordée par l’étude, la question reste sans réponse. Si les règles de remise en état des sites sont bien établies pour le futur (le pollueur paye), aucune règle internationale n’aborde les pollutions passées. De plus, le responsable, les Etats-Unis, ont construit la base sur un territoire qui était à l’époque danois. Or, le Groenland a depuis changé de statut pour acquérir une très large autonomie. Camp Century sera un fardeau pour le siècle à venir.


http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/pollution/20160809.OBS6034/un-camp-de-la-guerre-froide-victime-du-rechauffement-climatique.html