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Vendredi 10 Juin 2016 18:05

Un labyrinthe en herbe trouble les esprits à Romainmôtier

Litige Le Canton veut tondre un labyrinthe aménagé en zone agricole par des privés pour des raisons spirituelles.

Le labyrinthe circulaire de quelque 17 mètres de diamètre est dans le collimateur du Service du développement territorial. (Photo: JEAN-PAUL GUINNARD/A)
Erwan Le Bec
@ErwanLeBec

En anglais dans le texte, Mr et Mrs Anobile se disent «naturistes». Ils appartiennent à cette vaste catégorie dans laquelle les historiens des religions classent les dévots et adeptes du culte de la nature avec un grand N, avec un doux mélange de paganisme celtique et de géobiologie. En l’occurrence, le respect des énergies et des incarnations de l’environnement est tellement important pour ce couple d’Américains, natifs du Connecticut et de New York, qu’ils ont aménagé un espace sacré dans leur jardin. A savoir un labyrinthe circulaire de quelque 17 mètres de diamètre, dont le circuit a été simplement tondu il y a plusieurs printemps au milieu d’une prairie de hautes herbes, inclue dans leur charmante propriété située entre Croy et Romainmôtier.

Tout un symbole

Seulement voilà, leur terrain est affecté en zone agricole. Le Service du développement territorial a demandé fin 2015 de faire disparaître le labyrinthe. Mr et Mrs Anobile s’y sont opposés. Et à ce jour, on attend la venue de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal, avec greffiers, auxiliaires, avocats respectifs et autorités locales, qui doivent officiellement visiter ce point de communion entre l’homme et la nature lové au fond du Nozon. L’affaire fait grand bruit dans le bourg.

«Ce labyrinthe est un endroit que j’utilise pour méditer, explique Alison Anobile. Je parcours ces 250 mètres en 15 à 30 minutes, ça dépend. C’est un symbole de la vie et de la nature. Vous verrez, il y a plusieurs chakras et énergies qui s’y retrouvent.» Ce couple de retraités, autrefois employés du marketing d’Exxon, a aménagé ce site en 2009. Avec soin. Le centre du labyrinthe est situé, selon eux, sur un point tellurique important, implanté qui plus est dans l’axe des eaux du Nozon et de la séculaire abbatiale de Romainmôtier. A l’entrée du labyrinthe, un tronc accueille l’effigie du «Green Man»: l’homme de la nature. A disposition des pensionnaires (Mr et Mrs Anobile accueillent des mariages ou des réunions dans leur domaine), le labyrinthe a déjà été utilisé pour des rites saisonniers, des mariages celtiques, ou encore la célébration de la pleine Lune. De l’avis des autorités locales, ces rassemblements rares n’ont jamais posé problème.

Sans permis

Ce que le Canton reproche à ce culte de la nature? L’absence de permis de construire et la dénaturation de la parcelle, explique le Service du développement territorial (SDT): «Ce labyrinthe est assimilé à un aménagement du sol, qui a un impact important sur le paysage de par sa dimension et son aspect géométrique». Mr et Mrs Anobile sont convaincus d’avoir été repérés par des images du logiciel satellitaire Google Earth. «Depuis la route, on ne voit rien», plaident-ils.

«Ce labyrinthe est un endroit que j’utilise pour méditer (…). C’est un symbole de la vie et de la nature. Vous verrez, il y a plusieurs chakras et énergies qui s’y retrouvent»

«De plus, poursuit le Développement territorial, il a été estimé que ce jardin d’agrément aurait dû être réalisé en zone à bâtir, à proximité immédiate de la maison d’habitation sise sur une parcelle contiguë.» En clair, cette tonte particulière de la prairie n’est pas conforme à l’affectation agricole de la parcelle, la rapprochant plus de l’aménagement paysager que de la culture en exploitation.

Pour l’avocat du couple Anobile, l’affaire est loin d’être unique: des privés ont déjà été jugés pour avoir clôturé, planté des thuyas ou mis un potager sur une parcelle agricole. On ne touche pas impunément à un sol affecté à l’agriculture. C’est en tout cas suffisant pour alimenter une jurisprudence qui fait planer un doute sur les chances de survie du labyrinthe. «Mais là, le Canton a été très loin, plaide Me Yves Nicole. C’est une application très stricte de la loi. Pourquoi on tolère des crop circles et des labyrinthes de maïs dans les cultures des agriculteurs?»

Incompréhension

Déterminé, le couple Anobile ajoute que sa prairie est de toute manière impropre à toute culture. «Notre maison est une ancienne fabrique de tuiles, raconte Alison Anobile. Le sous-sol recèle les ruines des bâtiments. On ne peut rien planter.» Tandis que Michael Anobile s’emporte. «On ne fait que marcher dans notre prairie. Pourquoi l’Etat nous dit comment marcher chez nous?» A noter que le couple n’en est pas à son premier litige avec le Développement territorial. L’extension sans autorisation d’un vieux hangar pour y accueillir des chevaux avait été finalement régularisée après une longue procédure. Reste que la détermination des services cantonaux en a surpris plus d’un. «Ils veulent sans doute faire un exemple, réfléchit une source proche du dossier. Dans la région, les terrains agricoles proches des habitations sont soumis à une forte pression.»

Le Canton, lui, réfute tout excès de zèle. «Pour juger de la bonne utilisation du sol, le SDT se base sur le cadre légal en vigueur. Dans le cas précis, une parcelle sise en zone agricole ne peut pas être aménagée à des fins non agricoles, tranche Pierre Imhof, chef du service. Le SDT doit en outre veiller à ce qu’une personne qui aménage une parcelle sans demande de permis de construire ne soit pas mieux traitée qu’une personne qui respecte la procédure.» La date du verdict n’est pas encore connue.

(24 heures)

La jurisprudence des magnolias

Au chapitre des aménagements paysagers, le labyrinthe de Romainmôtier n’est pas le premier cas en zone agricole qui inquiète les autorités. En 2009, le Tribunal s’était penché sur un jardin aménagé dans un village du Gros-de-Vaud. La configuration était similaire: villa en zone à construire et parcelle attenante en zone agricole. Le reste un peu moins. Ce particulier avait remblayé la parcelle avec la terre issue de la construction et installé un silo. Il y avait cependant installé un érable, deux saules, des magnolias et un?jardinet avec carottes, salades, et quelques raisinets.

Les arguments du Canton sont à ce sujet inquiétants pour le labyrinthe de Romainmôtier. Le Tribunal avait retenu «des altérations sensibles apportées au terrain et au paysage», tandis que la clôture faisait «effet de contraste sur l’environnement». Il a été reproché au privé de ne pas être exploitant agricole et d’avoir fait des aménagements ne répondant pas à une vocation de production. En outre, l’érable et les magnolias ont dû être arrachés et remplacé par des arbres fruitiers autochtones. Le jardinet, lui, a été épargné à condition d’être déplacé près de la villa. Quant aux limites de parcelles, le propriétaire raconte avec humour avoir remplacé sa clôture par un parc à vaches.