Depuis la nomination du général François Lecointre comme chef d’état-major des armées françaises à la place de Pierre de Villiers, des documents circulent sur les médias et les réseaux sociaux pour consolider la réputation d’«homme du terrain» du nouveau CEMA.

Cette réputation se fonde essentiellement sur un fait d’armes du temps où il était capitaine chez les Casques bleus en Bosnie: la reprise du pont de Vrbanja à Sarajevo aux milices serbes. Les articles et vidéos relatant cette prouesse véhiculent souvent une image très déformée de l’événement et de son contexte.

Ainsi ce bref documentaire sur YouTube. On y lit (en anglais) un résumé des faits pour le moins dramatique. En s’emparant du pont en question, les Serbes auraient eu l’«occasion de pénétrer dans la ville et de tuer ses habitants». Les soldats français auraient donc décidé de les en déloger «afin de sauver les civils» (0:24). Le général Hervé Gobilliard, qui autorisa l’attaque, la motive lui aussi par le fait que «même si théoriquement nous étions en interposition, il y avait dans la ville un certain nombre de dizaines de milliers de personnes qui auraient été trucidées par les Serbes» (7:21).

Or ce même incident a été abordé à La Haye dans le cadre du procès Mladić. Lors de l'audience du TPI du 22 octobre 2013, l'officier français témoignant anonymement sous le nom de code RM-401 déclare précisément ceci:

«Alors, notre déploiement -- notre déploiement sur ce poste-là était vraiment un point-clé de Sarajevo, comme vous le dites. Et nous avions pour mission, eh bien, tout d'abord de nous interposer entre les Bosniaques et puis les Serbes et d'empêcher les Serbes de s'emparer, donc, des symboles de l'autorité, le parlement et la présidence, donc, en traversant la Miljacka et en traversant le pont de Vrbanja.»

Il n'est nulle part fait mention, dans ce témoignage sous serment, du danger de massacre de civils invoqué par le général Gobilliard et repris dans le générique de la vidéo. En revanche, on peut légitimement déduire des propos de ce témoin français que la mission concrète de ces soldats était de protéger de la défaite le pouvoir en place à Sarajevo, dirigé par le fondamentaliste islamiste Izetbegović.

Nota Bene

On voit aussi dans ce document le capitaine Lecointre confesser longuement ses états d’âme au moment de l’assaut. Au moment de l’attaque, dit-il, «on va se venger de cette peur qu’on nous a infligée» (4:33), puis il réaffirme «l’envie de venger» ses hommes tombés au combat (5:22). La vengeance comme mobile des actions militaires est explicitement condamnée par le droit de la guerre et les conventions de Genève. A fortiori quand on se trouve en «mission de paix».

De telles déclarations venant d’un officier serbe, musulman ou croate présent sur le même théâtre d’opérations eussent probablement suffi au TPI de La Haye pour ouvrir une enquête sur lui. Elles n’ont pas empêché le capitaine Lecointre d’accéder au sommet de la hiérarchie militaire française.