C’est la question que se pose Tablet, le dynamique magazine juif en ligne, en commentant la récente biographie du légendaire producteur Jack Warner par l’historien anglais David Thompson. De fait, sous le format d’un compte rendu de lecture, Mark Horowitz ravive le passionnant (et insoluble) débat sur l’identité juive des protagonistes de la vie publique américaine et son impact sur leur œuvre et sur la société qu’ils ont contribué à façonner.

Commençant par rappeler que la question de la «judaïté d’Hollywood» — dont la plupart des pères fondateurs étaient juifs — a été longtemps taxée d’antisémitisme avant qu’un ouvrage de Neal Gabler la rende «kasher» (An Empire of Their Own: How the Jews Invented Hollywood).

L’étude provocatrice de Thompson semble battre en brèche la thèse de Gabler selon laquelle les «Juifs du cinéma» étaient avant tout mus par le besoin d’assimilation et de reconnaissance — d’où leur représentation d’une Amérique idéale.

Le sujet de son étude, pour commencer, est un personnage à tout le moins haut en couleurs — mais qui se fichait de son judaïsme comme d’une guigne.

«Jack Warner était un véritable voyou. Il escroquait tout ce qu’il pouvait, y compris sa femme et ses frères. Il était mal élevé, rustre et vulgaire; malhonnête dans le business, abusif à l’égard de sa famille et de ses employés, et exploiteur de femmes en série: parmi ses nombreuses autres performances, il est probablement aussi l’inventeur du casting-sofa.»

Bref, comme l’avait résumé Darryl Zanuck (un goy): «Jack était peu fiable, mais jamais ennuyeux».

Quant à la «judaïté» du cinéma produit par la maison Warner, elle ne se loge pas toujours là où l’on pense. L’enquête est captivante et souvent paradoxale. Par exemple, qu’en est-il de ce chef-d’œuvre qu’est Casablanca?

«Sachant que le film avait un réalisateur juif, des scénaristes juifs et des producteurs juifs, à quel point était-il juif? “C’est une question à ne pas perdre de vue tout en se rappelant que les frères Warner étaient soucieux de ne pas apparaître comme une affaire juive", écrit Thomson. “Ils voulaient paraître américains." A cette fin, le studio avait supprimé toutes les références explicitement juives dans le scénario, malgré la mention des camps de concentration et de réfugiés apatrides, ou la judaïté évidente de plusieurs personnages et acteurs. “Il est plus juste de dire", selon Thomson, “que le film était libéral dans ses sentiments… émotif mais dur à cuire, comme pour dire que nous sommes des Américains, que nous en ferons notre affaire, car nous sommes les meilleurs, durs et tendres à la fois. Cet ensemble d’attitudes attractives est grandement venu du cinéma pour entrer dans le système nerveux du pays."

Ceci… semble expliquer pourquoi Casablanca, ainsi que les meilleurs films d’Hollywood, réfute l’idée que l’Hollywood juif faisait des films juifs. Mais Julius Epstein, l’un des nombreux scénaristes de Casablanca, insistait pour dire que le cynisme et l’humour du film étaient juifs… Thomson cite Epstein citant lui-même cette sentence de Lenny Bruce selon laquelle tout le monde dans le show-business, juif ou non, devient juif de toute façon…»

Un livre et un débat pleins d’esprit qu’il serait dommage de ne pas traduire en français…