La campagne sur les «liens russes» du président Trump est à l’heure actuelle la plus riche bulle à fake news au monde. Pourquoi nos chasseurs de conspirationnistes ne s’y intéressent-ils pas?

La «Russosphère» est la nouvelle obsession de l’intelligentsia américaine. Elle allie les vieux réflexes maccarthystes au progressisme branché des «libéraux» qui n’arrivent pas à faire le deuil de l’ère Clinton-Obama. Elle unit dans une même cause les médias en mal de sensations et les intérêts lourds du complexe militaro-industriel qui voit tout rapprochement avec la Russie comme une annonce de faillite. Elle rassemble enfin les think-tanks néoconservateurs et les professeurs titulaires, les blondasses agents RP et les vedettes du show-biz dans une cacophonie conspirationniste d’une effarante sottise. Comme le résume un incontournable article de Zack Beauchamp dans Vox:

[«Le président Donald Trump est sur le point de démissionner suite au scandale russe. Bernie Sanders et Sean Hannity sont des agents russes. Les Russes ont soudoyé le président du conseil de surveillance du parlement Jason Chaffetz pour un montant de 10 millions, se servant de Trump comme intermédiaire. Paul Ryan est un traître parce qu’il refuse d’enquêter sur les liens entre Trump et la Russie. L’héroïne libertarienne Ayn Rand était un agent secret russe chargé de discréditer le mouvement conservateur américain.»

](https://www.vox.com/world/2017/5/19/15561842/trump-russia-louise-mensch)

Tout cela sont des allégations que vous pouvez trouver dans un nouveau secteur en pleine expansion de l’internet qui fonctionne comme une bulle à fake news pour les libéraux [=gauchistes, NdT], et que j’ai appelé la Russosphère… Le ton est haletant: ça pullule de sources dans le renseignement non nommées, de certitudes de l’emprisonnement prochain de Trump, et d’affirmations factuelles issues de rêves fébriles qu’aucun média fiable n’a encore réussi à confirmer.

Cerise sur le gâteau de l’inflation paranoïde: la couverture du Time Magazine de cette semaine, sur laquelle les confrères complaisants se pâment. Très fier de son coup, le graphiste explique le «concept» de sa couverture qui a «frappé l’internet comme une bombe: elle décrit une Maison Blanche encerclée et peu à peu gobée par des minarets (sic!) russes».

Le seul hic, dans cette magnifique affiche d’agit-prop, c’est qu’elle… ne représente pas du tout le Kremlin! Les «minarets» en question sont les bulbes de la cathédrale de St-Basile-le-Bienheureux sur la Place Rouge. La nuance entre un palais présidentiel et un édifice religieux est-elle trop subtile à saisir pour les médias américains? Ou a-t-on délibérément voulu jouer sur l’imagerie «rétrograde» et asiatique du style «Ivan le Terrible», sachant que l’architecture du Kremlin évoque de très près le XVIIIe siècle européen?

Il est très curieux que nos vigilants chasseurs de fake news du Monde, de Libé et d’ailleurs ne s’intéressent pas davantage à cette facette-là du délire de l’information. Ils auraient de quoi épingler, railler et dénoncer des années durant...