Alors qu'elle montre les premiers signes institutionnels de résistance au flux migratoire dont elle est la première ligne de front en Europe, l'Italie vient de faire un geste étonnant. Elle a érigé une statue et un mausolée en Toscane au lieutenant russe Alexandre Prokhorenko, qui périt sous les bombes de sa propre aviation en Syrie après avoir donné les coordonnées du lieu où il était encerclé par les terroristes de Daech. Plutôt que d'attendre les tortures, il avait préféré emmener ses ennemis dans la mort avec lui.

De la part d'un pays membre de l'OTAN, la démarche est audacieuse. D'une perspective italienne, pourtant, elle se comprend:

  1. Libye. Le pays était un des premiers clients de l'Italie et son fournisseur privilégié en hydrocarbures et phosphates. Depuis l'intervention de l'OTAN en Libye, l'Italie a non seulement perdu un allié commercial, mais elle doit encore porter assistance à la marée humaine subséquente qui déferle sur ses côtes.
  2. Syrie. Elle était aussi un pays ami de l'Italie et tous les marchés syriens sont aujourd'hui perdus. On souligne par ailleurs que le chef des services secrets Italiens fut exécuté par des GIs américains alors qu’il intervenait en Irak.
  3. Russie. L'amitié entre Poutine et Berlusconi est notoire, et la Russie était un gros importateur de produits italiens avant les sanctions. Elle était aussi un gros partenaire industriel. Les moteurs des camions italiens Iveco, par exemple, sont de conception et fabrication russe. Ces marchés sont aujourd'hui détruits par les sanctions US/OTAN.
  4. Ex-Yougoslavie. Avec les guerres otaniennes, c'est un ensemble de relations diplomatiques et industrielles étroites (par exemple avec le constructeur automobile Zastava) qui a été confisqué à l’Italie. Pire : plusieurs pays de l'ex Yougoslavie sont en cours d'intégration dans l'OTAN et l'Italie voit l'ombre d'autres conflits y surgir à sa frontière.
  5. OTAN. C'est sans doute la raison la plus importante: l’OTAN et ses pays membres violent en permanence et depuis trop longtemps le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, bafouent les principes de non ingérence et soutiennent sans exception les groupements les plus violents dans le but d'une déstabilisation globale.

Obligée de courber l'échine sous ses maîtres anglo-saxons, l'Italie adresse donc intelligemment des signaux de connivence à la seule puissance capable de desserrer cet étau.

A la suite de ce geste symbolique, c'est tout l'ensemble des griefs italiens contre l'OTAN et l'UE — autant de sujets tabous — qui entre subrepticement dans le débat public.