[Mise à jour le 12 avril 2017, 12h50 — Dans un commentaire sur Facebook suite à la diffusion de cet article, M. Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef du Temps, écrit ce qui suit: «Fake news: la période d’enquête de la MACH Basic 2017-1 concerne la période du 28 septembre 2015 au 25 septembre 2016.» Autrement dit, bien avant la période des «six derniers mois» à laquelle font allusion les communiqués parus dans les médias. Si nous avons fait erreur, nous y avons été induits par une source erronée.]

Le journal Le Temps affirme connaître une «croissance historique» du nombre de ses lecteurs. Il aurait enregistré 10’000 abonnés papier de plus au cours du premier semestre 2017 par rapport à la même période de 2016. Son rédacteur en chef en tire un éditorial euphorique où il n’hésite pas à comparer sa croissance dans le bassin lémanique à celle du New York Times dans le monde.

La presse traditionnelle en Suisse connaît de fait un répit, mais Le Temps serait en pleine renaissance. La nouvelle est accueillie avec soulagement jusque dans le service public de la RTS.

Notre éditorialiste s’en félicite avec une fatuité de sous-préfet parlant aux comices agricoles: « Il ne faut pourtant pas oublier l’essentiel. Dans un monde complexe de basculement des valeurs, où la rumeur n’a jamais autant battu de vitesse l’information, le journalisme de qualité est vital pour nos démocraties.»

Quelle belle profession de foi! Si seulement encore Le Temps pouvait s’y conformer!

Il faut en effet préciser que l’autre titre du même groupe de presse en Suisse romande, L’Hebdo, vient de fermer au début de l’année et que son proprétaire a offert un transfert d’abonnement à ses lecteurs vers le quotidien Le Temps, comme il est d’usage chez les éditeurs lorsqu’un titre ferme brusquement et qu’il s’agit de satisfaire ou de rembourser des abonnés.

L’Hebdo comptait au 30 janvier 26’000 abonnés selon un chiffre que nous avons reçu de sa rédaction. Il couvrait la même aire géographique et visait un lectorat semblable. La conversion d’abonnement est naturelle. Nous avons même connaissance de cas de transfert automatique et non sollicité (sans doute des erreurs informatiques).

Il aurait donc suffi que 40% d’abonnés de L’Hebdo acceptent simplement la conversion pour expliquer cette «aube d’un fantastique renouveau», comme l’écrit M. Benoît-Godet avec un lyrisme champignacien.

Un «journalisme de qualité» eût consisté, de la part du Temps, à mentionner ce détail qui explique un peu mieux ce surprenant «but contre le cours du jeu» dont il s’autocongratule. Vanter sa fiabilité au moment même où l’on escamote un fait central est sans doute dans l’esprit de cette nouvelle éthique. Mais que ne ferait-on pas pour «garder la confiance des annonceurs»?

Il est étonnant que les confrères du service public et les «spécialistes universitaires des médias» n’aient pas relevé la prestidigitation, pourtant grossière. Ne parlez pas de corde, etc.

PS — Quant à l’expansion du New York Times, aux moyens et aux stratégies de diversification qu’elle utilise, cet article de Wired rappelle utilement les échelles de grandeur en jeu. Ce brand n’a plus d’un journal que le nom. Citer en exemple un média en pleine dématérialisation pour accueillir ses nouveaux lecteurs papier est pour le moins curieux.