Ayant annoncé qu’il comptait réserver 8 milliards pour le remplacement de la flotte complète des avions de combat, le ministre de la Défense helvétique était, le 9 novembre, l’invité du matin de la RSR1. Où il a offert un numéro de haut enfumage.

Le journaliste (Pietro Bugnon) avait pourtant commencé par la seule question qui importait: quelle est donc cette menace qui justifie un investissement aussi massif en période de récession financière? M. Guy Parmelin (UDC) 1 n’a pas songé un seul instant à répondre. Il a commencé par souligner que «tous [s]es collègues européens sont en train de remonter leurs budgets» (minute 1,44). Il apparaissait donc que la principale menace, pour le gouvernement suisse, consistait à ne pas faire comme tout le monde.

La défausse était si maladroite que le journaliste à dû rappeler à ce ministre «souverainiste» que la Suisse était un pays neutre — et donc que la cuisine budgétaire des membres de l’OTAN, en principe, ne la concernait pas. Il aurait pu enfoncer le clou en rappelant que cette inflation n’était nullement due à une nécessité de terrain — malgré le spectre de l’«invasion russe» que les spin doctors du complexe militaro-industriel continuent d’agiter désespérément —, mais à une exigence expresse des Etats-Unis réclamant de leurs satellites de l’OTAN d’augmenter leur budget militaire à 2% du PIB afin de subventionner l’industrie militaire U. S.

Mais l’intervieweur est resté obséquieusement poli face au ministre, comme on l’est toujours en Suisse face aux «autorités». M. Pangolin a donc eu toute latitude pour réciter les digressions de ses conseillers en comm sans craindre la contradiction.

Plutôt que de pointer la menace pesant sur la Suisse, M. Pangolin a donc pris exemple sur des crises étrangères. Ainsi affirme-t-il (min. 2,03) que «lors de la «guerre du Kosovo ou de la guerre du Golfe, nos avions ont dû intervenir pour faire respecter notre neutralité en interdisant à des avions armés étrangers de survoler notre Etat.»

Nous n'avons pas mémoire de telles interventions, même si tout n'est pas rendu public. Or si l'idée est crédible lors de la (première) guerre du Golfe, elle devient absurde au vu du contexte dès 1993. Aux deux époques, les «avions armés étrangers» ne pouvaient provenir que de l’OTAN. Or il y avait longtemps, en 1999, que la Suisse n’avait rien à refuser à l’OTAN (voir la chronologie ci-après).

Les archives médiatiques, de fait, ne gardent aucune trace de violation de l’espace aérien interceptée par la police aérienne helvétique pendant la guerre de Yougoslavie.

La Suisse avait en effet, dès 1993, abandonné de facto sa politique de neutralité sous la pression de l'OTAN. Pour ce qui de la guerre du Kosovo (seul épisode d'interdiction de survol), voici ce que disait Le Temps du 25 mai 1999:

«Le véritable aggiornamento intervenu en 1993 dans la politique de neutralité – sans provoquer la moindre polémique à l'intérieur du pays – laissait une large marge de manœuvre à la Suisse, qui s'est révélée suffisante jusqu'à ce printemps. Elle a pu sans problème s'associer à l'intervention de l'ONU en Bosnie, puis aux sanctions prises par l'UE contre la Yougoslavie. Elle aurait pu souscrire à un embargo pétrolier contre la Yougoslavie si l'intervention de l'OTAN avait été avalisée par le Conseil de sécurité ou si cet embargo avait été décrété dans le cadre de mesures de pression économiques, et non militaires, prises par l'UE.»

On notera aussi que la livraison des F/A-18 suisses s'est étalée de 1997 à juin 1999. La plupart du temps, pendant la guerre du Kosovo, les escadrilles étaient en cours formation, tandis que les F-5 Tiger en étaient encore à naviguer à vue !

1999, c'est aussi l'année de la privatisation du contrôle aérien militaire au sein de Skyguide... On était donc très occupé.

La police aérienne suisse — qui allait s’illustrer par son inefficacité à la veille d’un précédent vote (raté, sous le ministre Maurer) sur les avions de combat —, ne devait pas être plus opérationnelle à l'époque, lorsqu’il s’agissait d’intercepter des avions de l'OTAN qui mettent entre 10 et 15 minutes maxi pour traverser l'espace aérien suisse de part en part. Et qui, en plus, étaient des aéronefs «amis».

Si telle est la seule «intervention» concrète que le ministre de la Défense parvient à articuler — à part des tirs de missiles hypothétiques contre les flancs de l’Eiger évoqués pour dévier l'attention tout en amusant la galerie —, il ferait bien d’en apporter des éléments de preuve.

Faute de quoi, une malveillante opinion gauchiste aurait de bonnes raisons de le dénoncer comme perroquet des intérêts militaro-industriels et de lui infliger un référendum humiliant — et sans doute rassembleur.


Chronologie: Les interdictions de survol de l’espace aérien suisse

  1. avant 1993, refus de tout survol (traité de La Haye de 1907).

  2. 1995 (sous Flavio Cotti), autorisation de survol dans le conflit bosniaque (transit de personnel militaire et de matériel de la force internationale de paix IFOR / SFOR pour la Bosnie-Herzégovine). Justification: mandat de l'ONU (à laquelle pourtant la Suisse n'adhère qu'en 2002).

  3. 1996, adhésion de la suisse au PpP (partenariat pour la paix de l'OTAN).

  4. 1999 (toujours Flavio Cotti, puis Joseph Deiss à partir de mai 1999), refus de survol, mais avec des exceptions, notamment pour des bombardiers lourds B-52 (tout de même!). Justification: pas de décision du conseil de sécurité de l'ONU. En revanche, vers la fin du conflit, autorisation accordées dans le cadre de la KFOR (mandat de l'ONU, bien que la Suisse n'en fasse toujours pas partie, donc c'est plutôt sur la base implicite du PpP).

  5. 2011 (sous Micheline Calmy-Rey), autorisation pour la Libye, bien que l'autorisation du conseil de sécurité ait été largement dépassée...


  1. Parti souverainiste, anti-UE et anti-OTAN, pour qui l’aurait oublié…