Le dimanche 15 avril,
Le Matin Dimanche
a publié une tribune de Slobodan Despot au sujet de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame des Landes qui a dû prendre beaucoup de lecteurs à revers. La voici telle quelle.


Zones à défendre

Nous avons été témoins, cette semaine, d’une impressionnante mobilisation militaire française. Face à la Syrie de Bachar? Non. Bien plus spectaculaire! 2500 CRS et gendarmes dépêchés pour faire évacuer la «zone à défendre» de Notre-Dame des Landes. Soit, en gros, dix robocops contre un écologiste barbu. C’est que, là aussi, des gaz de combat étaient en jeu, du moins selon la twittosphère d’orientation légaliste et droitière: les odeurs corporelles desdits occupants, censés ne plus se laver depuis des mois. Sans compter la force de frappe chimique de leurs chèvres, de leurs engrais bio et autres miasmes célébrant le retour à la vie primitive.

Certes, la «défense» de NDDL n’a plus de raison d’être, puisque le gouvernement a abandonné le projet d’aéroport contesté à la fois par les riverains et les écologistes. Certes, les «zones de non droit» ne doivent pas exister dans un Etat qui, justement, se dit de droit. Mais les mauvais esprits se disent que ces 2500 spadassins n’auraient pas été de trop, par exemple, pour nettoyer de ses mafias narco-islamiques (le mot est du criminologue Xavier Raufer) le quartier «sensible» d’Ozanam, à Carcassonne, d’où était issu le djihadiste Radouane Lakdim. Ou que des équipes de choc pourraient être parachutées dans toutes les cités où l’on a entendu des clameurs de joie à l’annonce des morts de Charlie Hebdo ou du Bataclan. Or, sur ces sujets-là et dans ces «ZAD»-là, le ministère de l’Intérieur s’avance sur la pointe des pieds. La politique est l’art du possible, or il est des missions que, de toute évidence, l’Etat français a classés impossibles. Il se rabat donc sur des cibles à moindre risque et fait le beau devant ceux qui, de l’extérieur, pourraient avoir barre sur lesdites cités.

Cela dit, l’avènement et la chute de la ZAD de Notre-Dame des Landes nous content une histoire parallèle, et pour ainsi dire buissonnière, de la France du troisième millénaire. Du côté de l’Etat, d’abord: une dérive policière et militariste dans la gestion de la sécurité intérieure, traduite par un recours de plus en plus routinier à la force brute et une criminalisation aggravée de toute résistance à cette force. De l’autre côté, la ténacité des utopies sociales, économiques et agricoles donc la France fut (aussi) le berceau. A NDDL, l’expérience a débordé de son bac à sable comme un plant de courge bien enfumé — d’où la nécessité de la déloger au Roundup policier. NDDL était un laboratoire d’agriculture durable, d’autarcie et d’entraide, bref d’un modèle de société dont les pousses se multiplient çà et là ces dernières années. En parcourant les médiathèques de province où l’on m’invitait suite à la parution de mon roman Le Miel, j’ai eu la surprise de découvrir ce tissu social parallèle, presque clandestin, organisé sur un modèle associatif d’extrême-gauche. Malgré ses lourdeurs idéologiques occasionnelles, c’est un réseau qui assure, sur ce vaste territoire dépeuplé, la survie du commerce de proximité et d’une vie culturelle délaissée par les institutions. Dans nombre de recoins zombifiés par les supermarchés, ces utopies en acte assurent une souveraineté locale limitée mais concrète, à rebours des mouvements souverainistes qui défendent la «souveraineté» que sur un plan politique, donc abstrait.

Les ZAD sont aussi, et surtout, un mouvement de réappropriation de la terre française. Une terre mutilée par les autoroutes et le béton, épuisée par l’agriculture industrielle qui a transformé les paysans en techniciens du sol. Entre les agroprolétaires esseulés et déracinés qu’on expose cruellement dans des shows comme «L’amour est dans le pré» et les communautés chaotiques mais chaleureuses des ZAD, il y a une divergence de destins qui devrait faire réfléchir. Heureusement, l’appareil sécuritaire et la technocratie veillent à nous en dissuader.